Lyon

Relaxe des décrocheurs de portraits de Macron : «Le juge a tout compris aux objectifs de nos actions»

Le tribunal de Lyon estime que ces actions de désobéissance civile ont un «motif légitime» : l'urgence climatique.
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 17 septembre 2019 à 7h02

La relaxe «serait une décision courageuse, vous avez le choix», avait lancé en conclusion de sa plaidoirie Me Thomas Fourrey, l'avocat des «décrocheurs» de Lyon, lors de leur procès le 2 septembre. C'est bien ce choix qu'a finalement fait le juge unique du tribunal correctionnel lundi. Une «décision historique» pour le collectif ANV-COP21, dont deux militants avaient subtilisé la photo officielle d'Emmanuel Macron le 21 février dans la mairie du IIe arrondissement de la ville, inaugurant à travers le pays une vaste campagne, toujours en cours, de décrochages de portraits présidentiels. C'est en tout cas un arbitrage surprenant, tant le jugement lyonnais aligne longuement les arguments en faveur du «motif légitime» de ces actions de désobéissance civile face au «danger grave, actuel et imminent» que constitue le changement climatique.

Surprise

«C'est une très, très bonne surprise, on avait un petit espoir que ça arriverait comme très peu de fois dans l'histoire, a réagi l'une des prévenus, Fanny Delahalle, auprès de Libération. C'est une vraie victoire aussi, car ce jugement, ce sont huit pages de motivations qui montrent que le juge a tout compris aux objectifs de nos actions. Il reconnaît que l'Etat n'est pas à la hauteur des enjeux.» Accusés de «vol en réunion», un délit passible de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende, Fanny Delahalle et Pierre Goinvic, trentenaires chargée de projets et éducateur, avaient redit lors de l'audience du 2 septembre leur détermination face à «l'urgence gravissime» de mettre en œuvre des politiques publiques à même d'enrayer le «chaos» à venir.

«Le dérèglement climatique est un fait constant qui affecte gravement l'avenir de l'humanité en provoquant des cataclysmes naturels dont les pays les plus pauvres n'auront pas les moyens de se prémunir et en attisant les conflits violents entre les peuples, mais aussi l'avenir de la flore et de la faune en modifiant leurs conditions de vie sans accorder aux espèces le temps d'adaptation requis pour évoluer», souligne le jugement, avant de chiffrer les manquements de la France, pourtant «engagée sur le plan international et sur le plan interne» en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique, et de développement des énergies renouvelables.

«Enlèvement sans autorisation»

Reconnaissant la réalité du vol d'un objet «d'une valeur fortement symbolique», le juge estime également dans sa décision que le décrochage du 21 février par une vingtaine de militants lyonnais (parmi lesquels seuls Fanny Delahalle et Pierre Goinvic ont été identifiés par l'enquête policière, essentiellement sur la base d'échanges sur les réseaux sociaux) a été un geste «manifestement pacifique», représentant un «trouble à l'ordre public très modéré», puisque «le mode d'expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d'autres formes de participation dans le cadre d'un devoir de vigilance critique». Sous la plume du magistrat, le vol devient ainsi un «enlèvement sans autorisation», devant être «interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple». ANV-COP 21 n'aurait pas dit mieux.

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«Notre action s'adresse avant tout à la population française, pour qu'elle réalise le vrai décalage entre les discours et les actes, rappelle Fanny Delahalle. Nous avons le devoir de faire quelque chose face au gouvernement, nous espérons que de plus en plus de gens vont se mettre à marcher dans la rue.» Estimant que le vol «ne règle en rien le dérèglement climatique», le parquet lyonnais, qui avait requis une amende de 500 euros avec sursis, a fait appel de cette relaxe. Le 13 septembre, le tribunal correctionnel d'Orléans a, lui, déclaré coupables trois décrocheurs d'ANV-COP21, dont les actions vont donner lieu, à ce jour, à 18 procès. Pour Fanny Delahalle, le jugement lyonnais doit faire date : «Soit l'Etat est à la hauteur de l'enjeu, soit il continue la répression et à aller dans le mauvais sens de l'histoire…»

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